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ARISTOPHANE.

Je parle en poëte ! N’est-ce pas ainsi que les poètes prouvent leur modestie ? (À part.) Mais cette raillerie m’aidera à rappeler un peu mes services ! (Haut.) Voyons, néo-Athéniens, n’est-ce pas moi qui, le premier, ai chassé de la scène ces esclaves battus et torturés, qui réjouissaient de leurs cris la sauvage multitude ? N’ai-je pas ennobli la comédie par un style pur, par des images poétiques, et par des caractères bien tracés ?

MERCURE.

On ne peut te refuser cela.

ARISTOPHANE, s’animant.

N’ai-je pas, nouvel Alcide, combattu les monstres les plus venimeux, les délateurs, les dilapidateurs, les faussaires, tous les ennemis du bien public ? Lorsqu’aucun acteur ne voulait, à quelque prix que ce fut, braver le terrible Cléon en représentant son personnage, et qu’aucun sculpteur sur bois ne voulait faire un masque de théâtre à sa ressemblance, ne suis-je pas monté sur la scène, et n’ai-je pas joué son rôle à visage découvert ? Il y allait pourtant de la liberté, de la vie, ou de quelque chose de plus précieux, les droits du citoyen ! Enfin n’ai-je pas refusé les présents de ceux qui voulaient m’imposer un lâche silence, affronté les menaces et bravé le pouvoir de ceux qui voulaient punir ma franchise ?

MERCURE.

On le sait, et on t’en tient compte. Sois plus calme.

ARISTOPHANE, souriant.

Eh bien, rappelez-vous que j’ai fait beaucoup rire, et, si vous trouvez ma gaieté surannée, riez un peu par complaisance, comme au temps où, déjà vieux, j’invoquais l’appui des gens de bien et les applaudissements de l’aimable jeunesse. Et vous, mes recommandables pareils, hommes sincères, qui ne portez point de perruques, prononcez-vous pour moi ! Que tous les chauves de l’auditoire se lèvent et m’accablent ! Qu’ils disent d’une seule voix : « Honneur au poëte chauve ! Des