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à cette spécialité ? Mais te voilà riche, et tu te crois quitte envers toi-même. Est-ce une existence normale que de passer les étés dans un petit bien de campagne à tailler des espaliers et à greffer des roses ; l’hiver, à se dorloter au coin d’un bon feu, à collectionner des gravures, des cannes et des tabatières ? À ce train-là, mon bon ami, avec cette santé splendide et cette insouciance, tu vas tout droit au crétinisme. Voyons, qu’as-tu à répondre ?

PÉRÉGRINUS, souriant.

Trois petits mots pour tes grandes phrases : Je suis heureux !

MAX.

Heureux ! heureux ! Voilà bien une réponse d’horloger ! Heureux ! ils croient avoir tout dit, ces routiniers ignorants, quand ils ont prononcé avec emphase la formule de leur sottise : Je suis heureux !

PÉRÉGRINUS.

Eh ! mais, si c’est une sottise que de se contenter de son sort, je veux être sot tout à mon aise, et je te prie de me laisser comme je suis !

MAX.

Voilà de quoi je me garderai bien ! Je te porte trop d’amitié pour y consentir… Écoute-moi et tâche de comprendre… N’ayant pas conscience de ton être, et remplaçant le travail de la pensée par des contemplations vagues et des images incohérentes, il arrivera de ton cerveau comme de ces murs abandonnés auxquels s’attachent les champignons et la moisissure. Secoue-toi, mon pauvre ami, secoue-toi ; car, un de ces matins, tu pourras bien t’éveiller colimaçon, et tu voudras ramper sur le tronc des arbres, ou tu te croiras chauve-souris, et tu fuiras éperdu devant la lumière.

PÉRÉGRINUS.

Ce serait bizarre, mais j’espère que ça ne m’arrivera pas. Tu es un peu exagéré dans tes théories, et, à force d’étudier les organes du cerveau, tu as peut-être vu de trop près le danger. Je le sais bien aussi, moi, que la raison tient à un