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MYRTO.

Es-tu une déesse pour m’avertir ainsi, ou une sibylle pour rendre des oracles ?

LA PAUVRETÉ.

Je suis une des filles du Destin, et j’ai l’expérience qui sait prévoir.

BACTIS.

Vertu secourable, j’accepte, moi, tes saintes leçons ! J’ai connu les faveurs de Plutus ; mais Plutus n’a pas su préserver ma liberté. Toi qui m’as visité dans l’esclavage, tu ne m’as pas trompé par de vaines promesses, car tu m’as appris à compter sur moi-même. Tu m’as souvent consolé dans l’insomnie des nuits brillantes d’étoiles, au bruit des vagues mugissantes. Tu m’as parlé dans les songes du sillon et de la gerbe, à l’heure accablante de midi. Pauvreté laborieuse, je te connais ! Soutiens mes forces, et compte que, si je revois le ciel pâle et les sombres bruyères de ma patrie, je t’élèverai un autel chaque jour paré des fruits arrachés par le travail au sein de la terre aujourd’hui inculte. Nul esclave ne labourera mon patrimoine. Je te jure que tous mes captifs seront affranchis en mémoire des fers que j’aurai portés !

MYRTO.

Ô puissance que je redoute, mais que je veux adorer, si tu aimes Bactis, fais qu’aux yeux de mon père, il redevienne mon égal, comme, aux tiens, il est déjà mon supérieur par la science et la vertu. Fais que nous soyons unis, et je te jure de ne jamais adorer ce Plutus que tu dédaignes.

LA PAUVRETÉ.

Enfants, le divin Jupiter, le dieu seul omnipotent que les hommes connaissent si mal et dénaturent dans leurs vœux impies, le véritable maître des destinées, veille sur vous et ne restera pas sourd à vos prières ; mais n’espérez rien de cet or dont vous allez bientôt voir l’impuissance… C’est la gloire des combats qui seule peut racheter Bactis. Jeune homme, prépare ton cœur aux grandes luttes et aux grands périls : c’est là que tu trouveras ta délivrance. (Elle disparaît.)