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dans les siennes, et s’entretient avec lui. Touchard mange et cause avec Audrey. Un musicien joue du luth, debout sur le tertre, à gauche.

AMIENS, à Jacques, sur le devant de la scène. Plusieurs seigneurs les entourent, les uns reprenant leur repas, les autres debout.

Voici une heureuse journée, Jacques ! et chacun de nous doit vous féliciter d’avoir apporté ici une joie si nouvelle et si pure. Mais parlez-nous de votre voyage, et dites-nous ce que vous avez vu au delà de cette forêt, dans les campagnes et dans les villes.

Ils vont s’asseoir à droite ; Jacques est au milieu et domine tous les autres ; Amiens est à sa gauche ; Touchard est devant lui par terre.
JACQUES.

Innocents que vous êtes ! vous croyez donc que la terre a changé de face depuis que vous n’avez plus commercé avec le monde ? Je vous jure que le monde est toujours le même, sinon qu’il est de dix ans plus vieux, c’est-à-dire de dix ans plus laid.

AMIENS.

Pourtant toutes choses s’améliorent en vieillissant, ou, étant usées, se renouvellent ?

JACQUES.

Tous croyez ? Je n’ai point vu cela. J’ai vu l’éternelle représentation de la vie humaine, comédie en sept actes. D’abord ; le pauvre marmot qui vagit et bave aux bras de sa nourrice. Ensuite l’écolier pleurard, avec sa sacoche, et sa face vermeille comme le matin, se traînant à l’école à contrecœur et à pas d’escargot. Puis l’amant plaintif aux soupirs de flamme, chantant, sur un air usé, les charmes toujours nouveaux de sa maîtresse. Mais le voilà soldat ! Ombrageux et violent, là bouche pleine de jurements étranges, portant moustaches de léopard, il court jusque sous la gueule du canon après cette bulle d’air qu’on appelle la gloire. Attendez ! Voici le magistrat nourri de gras chapons, portant avec orgueil son beau gros ventre et sa barbe taillée avec mé-