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assez. Rosalinde, pour savoir qu’à nous deux nous ne faisons qu’une âme. On nous séparerait ! nous nous quitterions ! nous qui, dès l’enfance, avons dormi sous les mêmes rideaux et mangé à la même table ! nous qu’on voyait toujours ensemble, à l’heure du réveil comme à celle du repos, partageant les mêmes jeux et les mêmes études, inséparables, disait-on, comme deux cygnes attelés au char de la déesse Amitié ? Non, non, ma chère Rose, je serai avec toi dans la disgrâce comme dans l’opulence. Ta peine, ta pauvreté, ton humiliation, tes périls, tout cela est à moi comme à toi-même. Partons donc ensemble et courons rejoindre ton père, fallût-il traverser les sables de la Libye, pour trouver la forêt des Ardennes !

ROSALINDE.

Non, Célia, c’est impossible ! Ma chère Célia, tu ne dois pas…

JACQUES.

Vous croyez qu’elle parle sérieusement ?

CÉLIA.

Oui, monsieur, je parle sérieusement. Qu’elle y consente où non, je partirai avec elle ou sans elle. Mais où elle ira, j’irai ; où elle vivra, je vivrai ; où elle ne sera pas avec moi, je mourrai. Viens, retournons au palais, ma Rosalinde, et que, dès ce soir, avant que l’on se doute de mon dessein, notre fuite soit assurée. Il faut nous déguiser, nous munir de l’argent et des effets nécessaires, faire préparer des chevaux, et, avant que l’aube paraisse, nous trouver ici, où ce gentilhomme aura la courtoisie de nous attendre pour nous servir de protecteur et de guide.

JACQUES.

Qui ? moi ? me charger de deux belles dames pour fuir à travers les bois et les montagnes ?

ROSALINDE.

Refusez-vous, lorqu’on me chasse, de me conduire auprès de mon père ?