Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meuvent à l’aise dans le monde de la réalité ; celui des temps héroïques réclame des aptitudes exceptionnelles.

Faut-il donc regarder le perfectionnement de la pièce d’actualité comme le salut du théâtre ? Oui, s’il ne tue pas absolument le sentiment et le besoin du lyrisme, l’excès de la vraisemblance étant de ramener les idées et le langage à la vulgarité. Le lyrisme est l’expression de l’idéal comme l’actualité est celle du bon sens. Ces deux forces de l’âme, enthousiasme et raison, sont solidaires l’une de l’autre ; toutes deux doivent périr si toutes deux ne peuvent vivre simultanément en bonne intelligence.

Shakspeare est précisément l’accord de ces deux puissances. Il les a portées en lui à dose égale dans la plupart de ses ouvrages, et, même dans ceux qui semblent appartenir au domaine de la fantaisie, elles voltigent encore comme ces flammes jumelles qui poursuivent le navire battu par l’orage. Il a le sentiment comique autant que le sentiment sublime, et nul plus que lui ne peint la réalité des passions humaines servant de cadre à l’éternelle vérité des idées supérieures, C’est un mélange de naïveté, de grandeur, de recherche et de bonhomie qui font résonner toutes les cordes de la vie, et qui répond à tous les besoins de l’âme : raisonnement, imagination, rêverie et volonté.

Que, sur d’autres scènes, d’autres artistes, d’autres croyants nous secondent, comme quelques-uns nous ont déjà encouragés par leur exemple ; et grâce au divin Shakspeare, le goût du temps rentrera peut-être dans l’équilibre nécessaire au salut de l’art.

Quant à nous, mon cher Régnier, il n’y a pas à regretter de nous être donné un peu de peine pour arriver à planter les arbres de la forêt enchantée des Ardennes sur les planches classiques du Théâtre-Français, si nous avons réussi à faire passer là un souille de poésie exhumé tant bien que mal par votre ami, l’auteur reconnaissant.

G. S.