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yeux !… Tenez ! elle aussi, elle pleure !… ne comprenez-vous pas ?…

EDMÉE.

Non, je ne pleure pas ! Je n’ai plus de larmes ! je suis brisée ! Oui, mon père, voici la vérité : je me consume entre l’espoir et la crainte. Bernard est à la fois meilleur et pire que vous ne croyez ; il y a des moments où je crois sentir en lui mon frère ! d’autres où j’ai froid, où j’ai peur en retrouvant dans son regard, dans sa pensée, l’homme d’autrefois, rendu plus terrible par la puissance du raisonnement ! et cependant…

LE CHEVALIER, l’observant avec intention.

Cependant quoi ? Dis-moi tout !

EDMÉE.

Mon Dieu ! j’ai mes défauts aussi ! des défauts qui ressemblent parfois aux siens. Le même sang ne coule-l-il pas dans nos veines ? Le sang des Mauprat, plus impétueux, plus bouillant, vous le savez bien, que celui des autres ! J’ai eu des moments de hauteur, des accès de colère. Je l’ai irrité, blessé ! Oui, je me plaisais à mesurer ma force avec la sienne, et, devant les menaces de l’avenir, je m’écriais follement : « Non, Bernard, tu ne briseras pas la fille de mon père ! À Mauprat, Mauprat et demie !… » Et puis je redevenais enfant. Je suis comme vous, je me lasse vite de gronder ! J’avais besoin de voir sourire ce mâle visage assombri par mes reproches… Ah ! que voulez-vous, mon père, mon ami !… Je suis faible au fond du cœur, je suis femme !

LE CHEVALIER, vivement ému.

Edmée ! tu l’aimes ! je le savais bien ! C’est pour cela que j’ai tant lutté pour le rendre meilleur, mais je ne fais que l’exaspérer ! Eh bien, je ne lui résisterai plus. Il veut toujours avoir raison, je me tairai ; il veut être le maître, qu’il le soit ! Je me corrigerai moi ; je me vaincrai, puisqu’il ne peut pas se vaincre ! N’est-ce pas mon devoir, à moi qui ai si peu de temps à vivre, de lui céder l’empire du présent ? Tu l’aimes, ma fille ! c’est à moi de me sacrifier.