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encore un rêve trop confus. On ne juge les faits qu’à distance, et je suis dans le coup feu de la vie. J’ai vingt-cinq ans et je me nomme Flaminio, le premier nom venu, comme vous voyez. Je ne vous dirai pas que je suis un enfant de l’amour, j’aime à croire que l’amour n’abandonne pas ses enfants ; je ne suis pas si noble que ça : je suis un enfant du hasard. On m’a trouvé sous un berceau de pampres, au bord de l’Adriatique, au pied d’une belle et souriante madone. De pauvres pêcheurs m’ont recueilli, élevé, nourri, battu et abandonné à moi-même, le jour où j’ai été réputé assez fort pour me tirer d’affaire. J’avais alors douze ans et je ne savais pas lire. Jugez des péripéties d’une existence qui commence ainsi ! Eh bien, j’ai conservé une gaieté inaltérable, et, sans un défaut qu’on me reproche…

GÉRARD.

Ah ! voyons donc, enfin, ce défaut que vous voulez bien avouer.

FLAMINIO.

Du tout ! c’est, selon moi, ma plus grande qualité. Elle m’a été bien plus utile que nuisible, au fond !

GÉRARD.

Eh bien, qu’est-ce que c’est ?

FLAMINIO.

Eh bien, voilà ! Je ne peux pas réfléchir. Non, vraiment ! Je rêve, je contemple, j’imagine, je crée ; mais, quand il faut creuser une idée, une situation, serviteur ! L’ennui me prend à la gorge, et j’aime mieux, en contentant mon caprice, me livrer à la destinée. Voilà pourquoi, essayant de tout, et ne m’obstinant à rien, j’ai connu l’aisance et la misère, alternative divertissante et philosophique, monsieur, où l’on dépense sa dernière pièce d’or gaiement et libéralement, sans se préoccuper du lendemain, de l’habit qu’il faudra vendre et de la guenille qu’il faudra endosser. Tenez, j’ai sur moi la preuve qu’il y a parfois de bonnes veines dans mes finances, quand il s’en trouve dans ma volonté. Voilà une montre fort belle, dont je ne puis consentir à me défaire, bien que