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lon certaines conventions reçues par les uns, repoussées par les autres. J’entends parler d’une école du bon sens, d’une école du réalisme, etc. ; je ne demande pas mieux, cela m’est égal. Je vois du talent, du cœur, de la poésie dans les manières qu’on prétend les plus opposées, et j’avoue que je ne sens pas beaucoup les limites qu’on prétend établir entre ces diverses manières. Il me semble qu’il n’y a de bon que ce qui m’émeut ou me charme, et, comme je n’ai aucune théorie qui me gêne et me tende contre ma propre impression, je goûte souvent de très-doux plaisirs dans l’absence de toute discussion intérieure.

La tolérance que j’ai pour les autres me conduit nécessairement à tolérer mes propres fantaisies, bien que je sache qu’on ne me rendra pas toujours la pareille en impartialité et en bonne foi. Cela ne me fait rien ; on est si heureux de se sentir encore naïf en dépit de l’âge et de l’expérience, qu’on peut bien pardonner aux autres de vous trouver niais. Des personnes de mauvaise humeur me reprocheront toujours de leur présenter des personnages trop idéalement candides ou aimants. Si j’y crois, moi, à ces personnages, s’ils ont une existence réelle dans mon cerveau, dans ma conscience, dans mon cœur, sont-ils donc impossibles dans l’humanité ? Voulez-vous me faire croire que je porte en moi un idéal plus pur et plus brillant que le vôtre ? Eh bien, moi, je ne le veux pas croire ; cela me rendrait orgueilleux ou triste, et, vous aurez beau dire, je ne le croirai pas. L’humanité est meilleure que les habiles raisonneurs ne veulent nous l’accorder, à nous autres poètes. On dit que nous regardons à travers un prisme qui fait voir tout en rose. Hélas ! il y a aussi le prisme qui fait voir tout en noir, et nous y regardons aussi malgré nous, à de certaines heures de la vie. Laissez-nous donc libres de vous traduire l’effet de notre vision, quelle qu’elle soit. Qu’il y ait de l’ombre ou du soleil sur les tableaux et sur les faces humaines qu’ils représentent, le soleil et l’ombre sont des choses tout aussi réelles que les objets qui les reçoivent.

L’usage autorise les remercîments personnels en tête de ces