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PIERRE, hésitant, fait un second mouvement pour le frapper ; mais, comme terrassé par le regard de Valentin, il laisse lentement tomber la hache et tombe assis lui-même, comme anéanti.

Il me commande !… Il me brise !… Oui ! c’est lui qui est fort… et je suis faible !

VALENTIN, s’animant peu à peu.

Oui, vous êtes faible, parce que vous êtes injuste, et, en ce moment, je suis plus fort que vous, parce que je suis sincère. Pierre, il est temps que je vous dise la vérité, parce qu’elle me frappe moi-même ! Oh ! je ne vous l’ai pas cachée volontairement ; car, autant que vous, je méprise l’amitié qui trahit la confiance, la passion qui ne recule pas devant le mensonge !… Votre égarement ne change rien à ma loyauté, mais il m’ouvre les yeux, il me fait connaître mon devoir ; et c’est pour cela que je vous dis maintenant : vous ne méritez pas l’amour d’une femme ; vous l’opprimeriez, vous la tueriez ; vous n’épouserez pas Reine, je vous le défends ! (Pierre fait un mouvement de colère et retombe.) Oh ! ma volonté là-dessus est bien arrêtée : vous me tueriez plutôt moi-même ! Vous voulez faire le maître, et rien de plus ; vous n’aimez pas ! Il y a quelquefois des passions sans amour, des amitiés sans tendresse, des libéralités sans dévouement. Regardez en vous-même, vous y verrez que l’orgueil est près de corrompre le noble cœur que Dieu vous avait donné. Vous n’aimez pas cette jeune fille, je vous dis, puisque l’idée de son bonheur par un autre vous révolte et vous offense. Vous aimez mal votre ami, puisque son bonheur, à lui, ne vous consolerait pas de la perte du vôtre. Vous n’êtes dévoué à personne, puisque la pensée de vous oublier pour quelqu’un ne vous est seulement pas venue !… Plus heureux et plus fier que vous, je sens encore en moi toutes les forces du dévouement ! Il y a longtemps que j’aime celle qu’il vous a plu de choisir ! Je l’aimais avant que vous eussiez songé à elle ! Qui donc m’a donné le courage d’y renoncer, dès que vous m’aviez confié vos projets ? L’espérance de votre bonheur à tous deux ! J’ai bien souffert, moi !… L’homme est faible, et je ne suis pas plus fort