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CONDÉ.

Je compatis à vos peines, Molière ; mais je vous trouve trop amer contre ces gens de cour qui ne sont pas tous coupables de leurs propres vices. Permettez-moi de vous le dire : l’abaissement que masque leur frivole impertinence est l’œuvre d’une politique que vous avez peut-être trop bien servie. Si la noblesse n’a plus rien de respectable, c’est que le roi l’a faite ainsi, et que vous-même lui avez porté les derniers coups. Il l’a tuée par le canon, et vous, vous l’avez tuée par la satire ; et présentement, au lieu d’hommes remuants et dangereux sans doute, mais mâles et forts, vous n’avez plus que des femmelettes. Le libertinage est le refuge de ceux à qui on ne laisse plus rien de grand à faire. Et vous vous plaignez-là de maux qui sont votre ouvrage.

MOLIÈRE.

C’est parce que cet ouvrage-là n’est point encore achevé qu’il porte de mauvais fruits.

CONDÉ.

Que voulez-vous donc faire de plus ? Espérez-vous mettre la noblesse plus bas encore ? C’est bien de la présomption !

MOLIÈRE.

Prince, souvenez-vous de ce qu’écrivait, sous la Fronde, un libelliste d’une farouche éloquence. Cet homme était payé par vous pour ébranler le trône au profit des grands, et cependant, de ses entrailles populaires s’échappait ce cri que vous n’avez pu retenir : « Les grands ne sont grands que parce que nous-les portons sur nos épaules ; nous n’avons qu’à les secouer pour en joncher la terre. »

CONDÉ.

Mordieu ! monsieur, vous avez bonne mémoire ! Mais que Dubosq fût ou non à mes gages, songez que le pouvoir absolu d’un seul n’est pas un refuge pour les faibles. Vous êtes bien fiers, vous autres, parce que vous avez tout permis, tout admiré, tout déifié dans un roi qui, par hasard, s’est trouvé