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« C’est une grosse endormie. » Pourtant cette endormie avait un ami de cœur, un amant peut-être. N’était-ce pas à lui d’arranger ses affaires et de veiller sur son sort ? il la négligeait, au dire de la négresse ; mais il ne l’abandonnait pas, puisqu’il était jaloux et que je ne devais pas revenir.

Je quittai avec empressement cette lugubre bastide, et je ne me retournai pas pour la regarder. J’étais bien sûr de la trouver plus hideuse depuis que je savais la catastrophe dont elle avait été le théâtre, et que sans doute elle avait provoquée en partie par sa laideur. Il est des lieux qu’on n’habite pas impunément. Je me croisai dans le sentier avec le fermier ou régisseur de mademoiselle Roque et sa fille, assez jolie, vêtue de haillons immondes comme toutes les paysannes des environs. Il m’aborda en me demandant si j’étais le propriétaire de la moitié qu’il cultivait encore, et si je voulais le garder. Je lui demandai s’il avait un bail ; mais il me répondit d’une façon évasive ou préoccupée. Lui aussi semblait atteint de spleen ou d’imbécillité. Sa fille prit pour lui la parole.

— Mon père ne comprend pas beaucoup le français, dit-elle d’une voix glapissante ; il ne sait que le provençal. Pauvre homme, il est en peine et nous de même ! Nous avons perdu la pauvre maman il y a quinze jours. Pauvres de nous ! elle nous fait bien faute, elle avait du courage, oui. Il n’y a plus que