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temps, voulant le renverser sur place pour lui faire grâce en le tenant sous moi : impossible ! Baignés de sueur, épuisés d’haleine, nous nous arrêtions sans rien dire. C’étaient des moments atroces de silence et d’attente. Estagel me laissait souffler sans paraître en avoir autant besoin que, moi, et, au bout de cinq ou six minutes, qui m’ont paru des siècles, il me disait de sa voix douce et implacable :

» — Y sommes-nous ?

» Alors nous recommencions. À la quatrième fois, j’ai senti qu’il me gagnait sérieusement. Imagine-toi une pareille lutte sur une corniche de rocher qui n’a pas deux pieds de large. L’instinct de la défense naturelle, l’amour de la vie m’ont ranimé, et je me suis cramponné à lui. Il avait compté là-dessus pour me pousser sans remords et sans pitié, très-insouciant de ce qui en adviendrait pour lui-même. Comment je ne l’ai pas entraîné dans ma chute, je n’en sais rien. Ou j’en avais assez, ou l’espoir de me sauver m’a donné la résolution de m’abandonner à la destinée. Je me suis retenu, par je ne sais quel miracle, à la moitié du précipice. Je n’ai pas voulu crier, je n’ai pas crié, je sentais mon adversaire penché au-dessus de moi et regardant peut-être si je saurais mourir sans lâcheté. Enfin mes mains sanglantes et fatiguées ont lâché prise, et j’ai peut-être volontairement devancé le moment fatal. J’avais un sang-froid désespéré. Je me disais que j’étais suspendu sur un