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— Je crois bien qu’il avait pleuré toutes les larmes de son corps, pauvre bête d’âne qu’il était ! C’était un âne d’Afrique, un de ces petits bourriquets gros comme des chiens qu’on achète à Toulon quand les navires en amènent. Il y en a un comme ça à Tamaris chez madame. C’est fort qu’on ne s’en fait pas d’idée, et ça a de l’idée plus qu’on ne croit. Celui de la Zinovèse en avait bien enduré. Une fois, il en a eu assez ; il l’a jetée par terre, et, avec ses pieds de devant, sa bouche et ses dents, il s’est mis après elle, comme s’il avait voulu en finir et se venger en un jour de tout ce qu’il avait souffert dans sa pauvre vie de bourriquet. Il y avait là des garçons qui riaient au lieu d’aller au secours de la femme. Alors la femme s’est relevée et a commencé à leur jeter des pierres, et puis elle a attaché l’âne à un arbre, et à coups de bâton, et avec des épines qu’elle lui fourrait dans le nez, et avec des rochers qu’elle lui faisait rouler sur le corps, elle l’a forcé de casser sa corde et de sauter comme un fou dans la mer, où il s’est noyé. Croyez-vous que c’est une femme ? Je n’en voudrais pas pour tirer ma charrette ! Son mari en fait pourtant bonne estime, parce qu’elle est très-propre et très-courageuse ; malade comme la voilà, elle fait encore l’ouvrage d’un homme qui se porterait bien. Elle a aussi pour elle qu’elle a toujours été sage ; dame ! fière comme une reine, contente d’être courtisée, mais ne souffrant pas qu’on la touche !