Page:Sand - Souvenirs et Idées.djvu/185

Cette page n’a pas encore été corrigée

cience d’elle-même, de sa force, et, j’ose le dire, de sa mission, que lorsqu’elle se trouve sur le bord de l’abîme.

Cependant, je dois avouer que j’étais loin de supposer que ce serait à la suite d’une invasion de Prussiens… !

Maintenant, voici ce qui est arrivé. L’armée française, que depuis trois ans on semblait mettre au prix de dépenses et d’efforts inouïs sur un pied formidable, n’existait que sur le papier ! Lorsque après la déclaration de guerre on a eu fait tout ce qu’on pouvait, et appelé même les soutiens de veuves et les fils uniques, le ministre de la guerre n’a jamais pu réunir de Thionville à Châlons et de Châlons à Besançon, que deux cent mille hommes, lesquels on a disséminés, fractionnés en petits corps échelonnés sur une ligne immense, et à deux et trois étapes les uns des autres. Plusieurs de ces grands corps n’existaient même que de nom. Ainsi le corps de Félix Douay, (pas la division Abel Douay battue à Wissembourg), n’a jamais eu que deux régiments : le reste est à Civitta-Vecchia, attendant qu’une mer calme lui permette de s’embarquer.

Ce qui reste de ces deux cent mille hommes, après les défaites de Frossard et de Mac-Mahon, devra lutter contre trois corps d’armée de cent quarante à cent cinquante mille hommes chacun, admirablement organisés, se tenant par la main, et campés au plein cœur de l’Alsace. Il y a derrière eux une réserve, dont j’ignore le chiffre, et dans la Forêt Noire un corps d’armée, qui probablement va chercher à entrer par la trouée de Béfort.

Est-ce à dire qu’en présence de cet immense danger, il faille jeter le manche après la cognée ? Est-ce à dire qu’il faille même douter du succès ? Si la France n’est pas devenue une autre France ; si c’est la même nation qu’il y a à peine cinquante ans a tenu, seule, tête à l’Europe entière pendant des années, et qui au moment où en 1793 son sol était envahi de tous côtés, que la guerre