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B. Non, ce n’est pas juste, c’est contre l’égalité.

C. Attendez pourtant, cela me paraît la loi de l’égalité,

A. Non, ce n’est pas la loi de l’égalité, c’est la loi de la fraternité.

B. Voilà qui est bien subtil. La fraternité se trouverait donc contraire à l’égalité ? Je ne vous comprends pas.

A. Mon Dieu, voilà comme je l’entends. Si je ne le dis pas aussi bien que je voudrais, ce n’est pas faute de le sentir.

B. Dites toujours.

A. Voilà. L’égalité voudrait que le dévouement de chacun établît le bonheur de tous. Mais l’égalité n’est pas encore possible, parce qu’il y a encore des paresseux.

C. C’est juste. S’il n’y avait que des hommes plus ou moins forts, plus ou moins intelligents, le dévouement mettrait le niveau. Mais c’est qu’il y a des paresseux, et les bons ouvriers ne peuvent pas consentir à laisser leurs enfants mourir de faim au profit de ceux qui n’ont pas de famille et qui ne veulent rien faire.

B. Ou alors il faudrait que l’État eût tant de travail à donner, et tant de richesses pour le rétribuer, que le bonheur de l’un ne ferait pas le malheur de l’autre.

D. Attendez. Quand même nous aurions assez de richesses pour que personne ne souffrît de la misère, ce qui est juste sera toujours juste, et ce qui est injuste ne peut pas cesser d’être injuste.