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vulgaire, ou du moins à l’état de vulgarité douce qui est le fond des trois quarts de la vie pratique.

Permettons donc aux poètes de dépasser la limite du convenable et du convenu, ou plutôt exigeons cela de quiconque ose toucher à la lyre sacrée. Qu’ils ne parlent pas, qu’ils chantent, et que les plus grandes hardiesses soient purifiées par le chant inspiré. Qu’il en soit de la poésie comme de la statuaire, où le nu est souvent plus chaste que la draperie.

Ainsi donc, ne cherchons pas dans le lyrisme plus de réalité que le lyrisme n’en peut donner sans devenir prose, et ne prenons pas pour un vrai païen le poète qui fait des sonnets païens. Ces sonnets sont-ils l’expression virile ou délirante du culte de la beauté ? Oui, puisqu’ils sont très réussis et très beaux. C’est l’hymme antique dans la bouche d’un moderne, c’est-à-dire l’enivrement de la matière chez un spiritualiste quand même, qu’on pourrait appeler le spiritualiste malgré lui ; car, en étreignant cette beauté physique qu’il idolâtre, le poète crie et pleure. Il l’injurie presque et l’accuse de le tuer. Que lui reproche-t-il donc ? De n’avoir pas d’âme. Ceci est très curieux et continue sans la faire déchoir la thèse cachée sous le prétendu scepticisme de Byron, de Musset et des grands romantiques de notre siècle. Ceci est aussi une fatalité de l’homme moderne. C’est en vain qu’il invoque ou proclame Vénus Aphrodite. Ce rêve de poète, qui embrasse ardemment le règne de la chair ne pénètre pas dans la vie réelle de l’homme qui vit dans le poète. Pluton et le christianisme ont mis dans son âme vingt