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jusqu’au porche de l’église paroissiale. Mon cœur se serre quand j’entends le conseiller municipal du hameau menacer les vieux arbres hantés, les petits étangs habités par de gigantesques personnages baignant leurs grand’jambes dans l’eau rougie des feux du couchant ; je suis presque en colère quand on parle d’enlever les grosses pierres parlantes et grimaçantes pour en faire des auges de granit, et les vieux téteaux pour faire du feu. « Quand tout ça n’y sera plus, disent quelques esprits forts, le monde ne sera plus si bête. On ne croira plus que le diable fait son sabbat à la croix des Bossons, et que le follet jette les cavaliers par terre aux pierres d’Epnell pour bourdir leurs montures en les fouaillant de sa grand’queue de dix aunes. »

Il est vrai, et tant mieux si l’on s’éclaire sans devenir sot, de simple qu’on était. Mais, quoi qu’il en arrive, le passé perdra bientôt son prestige, il ne faut pas en douter, et il est bon qu’un artiste ait consacré son talent à reproduire ces lieux agrestes qui vont disparaître et ces scènes fantastiques qui, après lui et nous, ne laisseront plus de traces dans la mémoire des bonnes gens.

L’hallucination est, d’ailleurs, un fait psychologique et physiologique qui trouve à chaque instant sa place nécessaire dans l’histoire des masses. Tout est prodige dans les récits et dans les souvenirs de la race humaine. Les ouvrages de M. Maurice Sand ne sont donc pas de pures fantaisies d’artiste : ce sont des traits de mœurs et, dans leur genre, des documents pour l’histoire d’une province. Si l’on songe qu’avec