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En d’autres endroits de cette province, le sol a pu trouver dans la petite culture ou dans la gestion de la grande propriété, les ressources nécessaires ou l’activité suffisante pour sortir de sa primitive pauvreté. Là s’étendent des steppes inféconds, semés de grosses roches que la tradition attribue à un travail d’esprits pervers ou fantastiques, et autour desquelles se passent encore, dit-on, des choses étranges, des scènes incompréhensibles.

Ces croyances passeront, ces lieux seront transformés. Chaque jour, le progrès, quelque lent qu’il soit dans les campagnes, travaille à son œuvre persévérante et emporte, ici une superstition locale, là un coin obstiné du désert. Il arrache les ronces, nivelle les passages, soumet la nature rebelle, et défriche les esprits en même temps que le sol. Dans cinquante ans, on cherchera ces traditions rustiques, ces roches éparses, ces arbres mutilés, cette poésie du passé rude et coloré qui s’en va en bien-être et en raison.

Hélas ! disent les artistes, la terre sera bien ennuyeuse quand la charrue aura passé partout, et quand le paysan sera un bourgeois voltairien. Je l’avoue aussi, moi, je sens la nécessité des grandes réformes agricoles, et pourtant je m’étonne encore quand un villageois me dit qu’il passe désormais sans terreur aux lieux où, dans sa jeunesse, le fadet, sous la forme d’un loup noir ou d’une chienne blanche, lui sautait sur les épaules et se faisait porter, lourd comme trente boisseaux de blé, jusqu’à la porte de la métairie, ou