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que la campagne conserve en mille endroits, grâce à certaines habitudes agricoles traditionnelles, une physionomie qui est encore celle du moyen âge. Ainsi, au milieu de terres fertiles en plein rapport, on trouve encore, dans cette région, le pâtural, vaste espace d’herbes folles, de buissons épineux et d’antiques souches d’arbres trapus, littéralement émaillé de fleurs sauvages au printemps, mais sec et morne quand les troupeaux de bœufs qui y ont pris leurs quartiers d’été le laissent tondu et foulé pour tout le reste de l’année. Une autre coutume barbare est d’ébrancher les arbres pour donner la feuille sèche aux moutons durant l’hiver, après quoi on brûle le fagot. C’est l’orme abondant et vigoureux dans ce terrain, qui est soumis à cette mutilation périodique, et qui se couvre de bosses et de rugosités affectant les formes les plus bizarres, parfois les plus effrayantes. Dans le brouillard du crépuscule, ou quand la lune, à son lever, argente de lueurs obliques les fonds humides, ces monstres, plantés au bord des chemins, semblent étendre sur le passant des bras désespérés ou pencher vers lui des têtes menaçantes.

La largeur démesurée des chemins de pâture communale est encore un caractère particulier au bas Berry. Leurs vastes sinuosités, rayées d’herbe courte et de déchirures rougeâtres, donnent à certains points de vue un air d’abandon capricieux qui rappelle l’abandon primitif où se trouvait la terre, lorsqu’elle n’était pour l’homme nomade qu’un lieu de passage et de campement.