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nous, ne l’avons-nous pas aussi ? nous qui, par notre sang versé, assurons toujours son triomphe, sommes-nous dans les ténèbres ?

Si vous avez plus de science, si vous connaissez mieux l’histoire, si vous avez lu et écrit plus de livres que nous, en résulte-t-il que nous n’ayons aucune lumière naturelle ? Tenez, gens habiles que vous êtes, il y a deux manifestations de la vérité de Dieu dans l’homme, la vérité qui vient dans la méditation et celle qui vient dans l’action, la vérité de l’esprit et la vérité de l’instinct. Eh bien, nous avons l’une et vous avez l’autre, et ces deux vérités ne peuvent rien de complet l’une sans l’autre. Il est bon que vous instruisiez, il est bon que nous agissions. Mais consultez nos instincts et ne les frappez pas d’anathème sans les connaître. Donnez-nous un idéal, nous le voulons bien, mais ne nous l’imposez pas. Si vous voulez l’autorité, n’y prétendez qu’autant que nous vous l’aurons concédée librement et après vous avoir connus et examinés avec attention. Cela est d’autant plus nécessaire que vous-mêmes vous ne nous connaissez pas. Vous avez vécu renfermés dans la secte et l’esprit de la secte vous a isolés de notre esprit. Vous n’avez pas vécu dans le peuple, en croyant y vivre ; une petite fraction du peuple, dogmatisée par vous avec soin, et dressée par vous au mécanisme d’une société de votre invention, modèle en petit de la grande société que vous faisiez à votre image, n’est pas le peuple. Vous n’avez eu là que des disciples, et les disciples sont des flatteurs sincères, dévoués, naïfs,