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les rues, la vanité a fait un tel abus du mot de gloire ! Mais l’antique honneur, l’honnêteté politique, nous en avons si peu, que nous serons bien forcés de nous prosterner devant elle quand elle deviendra l’expression du caractère français ! L’avenir n’est plus au génie individuel, à l’éclat du talent, à la force des armes : il est à l’honneur, et le Napoléon des temps nouveaux, ce sera l’honnête homme par excellence.

Quant à toi, Barbès, rappelle-toi le mot de l’enfer dans Faust : Pour avoir aimé, tu mourras ! Oui, pour avoir aimé ton semblable, pour t’être dévoué sans réserve, sans arrière-pensée, sans espoir de compensation à l’humanité, tu seras brisé, calomnié, insulté, déchiré par elle. J’ignore si le fer de la guillotine est à jamais brisé pour les dissidences politiques. Tu l’as déjà vu de près, et son éclair ne te ferait point cligner les yeux. Mais, déjà à demi mort dans les cachots de la monarchie, tu recommences ton agonie dans les cachots de la République. Je crois fermement que la justice du pays t’absoudra ; j’espère encore dans l’idée qui préside aux destinées de la République. Mais tu n’en seras pas moins persécuté, durant les jours qui te restent à vivre, par l’idée contraire, toute-puissante encore chez la plupart des hommes. Tu mourras à la peine d’un éternel combat ; car les forces humaines ne suffisent pas à la lutte que ces temps-ci ont vu naître, et que ni toi ni moi ne verrons finir. Reste donc calme ! Tu as choisi la souffrance, la prison, l’exil, la persécution et la mort. Tu seras exaucé, toi dont l’ambition était de mourir pour