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ceux qui naissent dans la misère, qui s’élèvent dans la souffrance, qui vivent dans les privations. Tempéraments bilieux, nerveux, lymphatiques aussi, et pourtant excitables et sujets à de violentes réactions, organisations compliquées, comme l’on voit, et par conséquent très riches en émotions, en intelligence, en activité. Tout cela vit par la pensée ; le corps paraît faible, mais le cœur est si fort ! Il n’y a pas de géants qui résistent à l’élan de cette milice adolescente. Faut-il renverser des omnibus, couper des arbres, déraciner une grille, élever une montagne de pavés sans levier, sans coignée, sans outils d’aucune espèce, avec ces bras maigres et ces mains assez menues qui caractérisent la race urbaine ? l’ouvrage est fait, la barricade est élevée avant qu’on ait eu le temps de comprendre et de voir le prodige. Et puis après, comme nous sommes artistes, comme nous aimons la couleur, l’élégance, la parure, nous mettons en ornement des branches vertes, des banderoles rouges, un drapeau, un trophée quelconque au sommet de l’édifice ; car il ne suffit pas que ce soit un rempart, il faut encore que ce soit un autel. Partout le spiritualisme vague mais exalté de l’enfant artiste, ouvrier et guerrier de Paris, met son cachet sur son œuvre.

Pendant que nous examinons les futurs libérateurs de l’Europe, le cortège continue. Les prêtres marchent au son du tambour et emboîtent le pas sans y prendre garde ; l’image du crucifix plane au-dessus de la foule à côté du drapeau de la République, alliance naturelle et parfaitement logique, quoi qu’en dise