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venus au-devant de nous jusqu’à la grande route ; et, malgré que tu avais écrit à mon père que tu restais encore à Paris pour essayer de trouver de l’ouvrage, il regardait toujours dans la diligence, parce qu’il croyait te voir descendre.

Je l’ai trouvé moins vieux que je ne craignais, mon pauvre père ; mais c’est ma mère qui est bien changée et bien fatiguée ! Elle n’a plus un seul cheveu noir, et on ne dirait jamais d’une femme de cinquante ans. Quand ils ont vu que tu n’étais pas avec nous, ils ont dit que cela leur faisait de la peine, et que tu ne les aurais pas gênés.

— Nous n’avons pas d’argent, mais la récolte est belle sur terre ; et, d’ailleurs, on fait comme on peut. Voilà ce que disait mon père. Mais je lui ai fait observer que, dans sa lettre, il n’avait demandé que moi et nos enfants, et qu’il n’avait pas parlé de toi. Et il m’a répondu :

— C’est vrai que nous sommes bien gênés, et que la peur de l’être bientôt davantage m’a empêché de demander ton mari ; mais, s’il était venu, il m’aurait fait plaisir ; et, à présent, j’ai du chagrin de ne pas le voir ici.

Tu sais bien, mon ami, que mon père est un peu craintif et toujours tourmenté du lendemain, comme tous les gens de campagne. Mais il a le cœur bien placé, et, comme tous les gens de la campagne aussi, quand il se décide à rendre service, il ne le fait pas à regret. Il m’a déjà dit cent fois, en montrant son petit jardin :