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Nous fîmes le tour par la rue pour gagner le quai, et voir, chemin faisant, ce qui s’y passait. Il était couvert de troupes. La mobile était immobile, attendant Tordre de ses chefs, qui paraissaient en attendre aussi. Les dragons arrivaient en criant : Vive la République ! La garde nationale à cheval venait ensuite, le sabre au vent, et criait : Vive l’Assemblée nationale ! Jusque-là, Coquelet avait été d’un calme étonnant ; mais, quand il vit ces gros bourgeois avec leur coquetier sur la tête, trottant comme des sacs de blé sur leurs beaux chevaux, il perdit patience.

— Voilà, dit-il, le plus vilain régiment qu’on ait jamais inventé. Ils sont gras comme des moines, et ils sont serrés dans leurs habits comme des demoiselles ; ils se tiennent à cheval comme des notaires, et ils chargent en lunettes. Qu’ils en mettent deux paires plutôt qu’une, s’ils ne voient pas aux pieds de leurs chevaux, car, s’ils ont le malheur d’écraser une femme ou un enfant, gare les barricades pour cette nuit !

— Tais-toi, Coquelet, et attendons, lui-dis-je. Ils savent bien qu’on n’écrase plus personne impunément, et ils s’en garderont. Ils ne sont pas si furieux qu’ils en font semblant ; ils croient nous faire peur ; laissons-leur ce plaisir-là. Qu’est-ce que ça nous fait ? Quand nous voudrons, on licenciera ce corps-là.

— Tu as raison, dit Coquelet ; à nos fusils ! Quand nous les tiendrons, nous verrons bien sur qui il faudra tirer.

Là-dessus, nous fûmes rejoints par Vallier, Laurent et Bergerac, qui étaient entrés malgré eux à force