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marché, en prenant un petit air de fuite, pendant que personne ne me faisait l’honneur de penser à moi, si ce n’est quelques messieurs de la garde nationale qui s’indignaient de voir oublier un conspirateur aussi dangereux. Ils n’ont pourtant pas été jusqu’à dire que j’avais un dépôt de fusils et de cartouches dans ma mansarde.

Dans tous les cas, si j’avais eu l’espoir, en quittant le grand foyer des agitations politiques, de trouver la sécurité morale au fond de nos campagnes, j’aurais fait un mauvais calcul, et je serais venu me jeter dans la gueule du lion. Je ne me plains point d’être persécuté, parce que ce serait fort puéril, et que, dans un moment où l'on traque tous les socialistes comme des criminels d’État (et de plus importants que moi), il me paraît assez logique que la réaction m’enveloppe dans son système de réprobation ; mais les moyens qu’on emploie sont si variés, si bizarres, si ingénieux, qu’il est bon de les constater comme couleur historique, et que je veux vous en faire part.

Par exemple, ici, dans ce Berry si romantique, si doux, si bon, si calme, dans ce pays que j’aime si tendrement, et où j’ai assez prouvé aux pauvres et aux simples que je connaissais mes devoirs envers eux, je suis, moi particulièrement, regardé comme l’ennemi du genre humain, et, si la République n’a pas tenu ses promesses, c’est évidemment moi qui en suis cause.

J’ai eu un peu de peine à comprendre comment je pouvais avoir joué un si grand rôle sans m’en douter.