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— Je ne saurais, répondis-je, la raconter dans un lieu livré à des influences aussi contraires à l’effet qu’elle doit produire, et je crois, pour continuer le système de mon braconnier extatique, qu’au contact de toutes ces élégances parisiennes, je perdrais la mémoire des jours de ma jeunesse campagnarde. Venez avec moi en plein air, la lune donne sur les toits, et je réussirai peut-être à sortir de mon explication…

— Je vous en dispense, dit le cosmopolite, qui commençait à en avoir assez. Il me semble que j’ai compris, tout en dormant ; vous attribuez à votre homme une sorte de seconde vue qui s’exerçait à la chasse, et qui se produisait chez lui au moyen de certaines crises nerveuses. Vous pouviez dire cela en deux mots ; je ne suis pas tellement sceptique, que je n’accepte cette donnée préférablement à bien d’autres.

— Eh bien ! repris-je, puisque ma tâche à cet égard est terminée, la fin de l’histoire viendra bien vite. Le garde champêtre et toutes les têtes fortes de l’endroit nous avaient bien prédit que cela finirait mal, et que Georgeon tourerait son compère Mouny. Un beau soir, comme la lune brillait au ciel, Mouny alla comme de coutume lever la pelle de son moulin ; mais, au moment où l’eau s’élançait et mettait la roue en mouvement, Georgeon, qui était mécontent de lui (sans doute parce qu’il ne le trouvait pas assez méchant pour un homme voué au diable), le poussa par derrière, l’enfonça dans l’eau la tête la première et le fit passer sous la roue de son moulin, d’où il sortit suffoqué, brisé et frappé à mort. On le trouva de l’autre côté du moulin, échoué sur l’herbe du rivage, disloqué, immobile et près d’expirer. Il passa pourtant six mois dans son lit, où il finit par succomber aux lésions profondes que la roue du moulin avait faites à la poitrine et à la moelle épinière. — On te l’avait bien prédit, mon pauvre homme,