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par le décorateur. C’est que le Français a plus que l’Allemand le sentiment de la vraie beauté dans la nature, témoin les grands paysagistes que la France seule a produits depuis quelques années. Il y a une véritable renaissance de ce côté-là. L’Allemand voit les choses autrement ; il veut embellir la nature. Elle ne suffit pas à son imagination, il la peuple de fantômes, il donne aux objets réels eux-mêmes des formes fantastiques. La scène allemande essaie minutieusement de réaliser cette pensée du poëte, et je crois qu’ici on a bien fait de ne pas le tenter. Il eût fallu sacrifier des effets de vérité et des effets de fantaisie, et peut-être eût-on perdu ces beaux effets sans atteindre au bizarre effrayant des effets contraires. En résumé, on peut dire que chaque peuple a son fantastique, et qu’il serait plus que difficile de concilier les deux.

— Si vous parlez de Paris et de Vienne, répondis-je, je vous accorde que ces différences sont tranchées ; mais si vous allez au cœur de notre peuple, si vous pénétrez dans nos provinces, au fond de nos campagnes, vous y trouverez des traditions si semblables à celles de l’Allemagne et de l’Écosse, que vous reconnaîtrez bien que ces poëmes populaires ont une source commune. Les poëtes et les artistes des diverses nations s’en inspirent plus ou moins. L’Angleterre a Shakspeare et Byron, l’Allemagne Goethe, la Pologne Mickiewicz, l’Écosse Ossian et Walter Scott. Nous n’avons rien de semblable. Nos superstitions n’ont point eu d’illustres interprètes et n’en auront pas ; l’esprit voltairien leur a porté le dernier coup, et notre moderne école fantastique n’a été qu’une pâle imitation de celles de nos voisins. Elle n’a rien produit de durable ; c’est une affaire de mode. Le Français des hautes classes et celui des classes moyennes rient des contes de revenants, et défendent aux valets d’en troubler la cervelle des enfants. L’Allemand éclairé n’y croit pas davantage, mais il n’en