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vivre seul, encore moins pour vivre en lutte avec ses semblables. Le temps où il a pu exister sans notion d’association n’a dû être qu’un âge d’enfance et de nullité, où l’on peut dire que la création de son être n’était pas achevée, et qu’il ne différait des animaux que par le germe de perfectibilité caché et endormi dans son sein. Il n’y a point eu d’âge d’or dans la forêt primitive de Rousseau, si l’homme n’y vivait pas dans une solidarité complète avec ses frères. L’homme n’est ni bon ni méchant dans les conditions de l’isolement, il n’existe pas à l’état d’homme. Si le premier contact avec ses semblables à créé la lutte, elle lui a du moins enseigné la notion du bien et du mal. L’état de nature, tel qu’on l’entendait au xviiie siècle, est donc un état de barbarie, et, dans cette condition, l’homme n’a ni droits ni devoirs, à moins qu’on ne veuille appeler un droit l’instinct conservatif de l’être, l’art de manger, de dormir et de fuir le péril. Avec une conception fausse et romanesque de cet état sauvage, on arrive à supprimer ou à restreindre tous les prétendus droits naturels et à considérer comme un brigand l’homme qui demande du pain. Mais, en admettant que l’homme est solidaire de l’homme, on ne peut plus avoir d’autre pensée que celle de détruire l’horrible inégalité du fait social ; et dès lors les droits et les devoirs sont identiques. La déclaration des uns ne doit ni suivre ni précéder celle des autres. Donner et recevoir, jouir et travailler, produire et consommer, servir et commander, demander et accorder, aimer et être aimé, respecter et inspirer le respect, sont des actes simul-