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seulement dans mon âme, je crois qu’il est dans d’autres âmes, et que par conséquent ce rêve a une sorte de réalité. N’y aurait-il de réalité absolue que dans les faits matériels, dans ce qu’on voit et dans ce qu’on touche, dans ce qui nous froisse et dans ce qui nous satisfait immédiatement ? Oh ! non, car Dieu, car le beau idéal, car la perfectibilité humaine, car le vrai et le juste seraient des chimères, des songes vains pour lesquels nos maîtres les plus grands et les plus saints apôtres de l’égalité auraient été à bon droit présentés ou immolés sur la terre comme des fous, comme des perturbateurs et des ennemis de la paix publique. Croyez donc qu’on peut, à côté de la politique et sans vouloir agir par les moyens de la politique, consoler encore aujourd’hui quelques esprits et ranimer quelques âmes éprises d’un plus doux songe. Je ne prétends pas qu’il y en ait beaucoup dans le temps de matérialisme où nous vivons, ni que j’aie de grandes forces pour les assister et les relever. Je sais si bien le contraire, que je n’ai jamais aspiré à ce qu’on appelle le succès, c’est-à-dire le suffrage général, et que les moqueries, les dédains des esprits forts de notre temps et les De profundis chantés sur mes utopies par la critique ne m’ont jamais ni surpris ni courroucé. Il est impossible qu’un myope et un presbyte s’entendent sur la distance. Tous deux voient mal peut-être, mais, à coup sûr, aucun des deux ne persuadera l’autre.

Laissez-moi donc m’adresser, quand l’occasion s’en présentera, à ceux qui ne voient pas à côté d’eux, mais dont la vue, usée par le faux éclat des choses