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grandes Alpes ; ils souffrent et ils chantent, nous dit-on. Au matin, un rayon de soleil, entre deux nuées, réjouit leurs yeux éblouis par les glaces éternelles des hautes cimes. C’est le soleil d’Italie, et, quelque troublé qu’il soit par les caprices d’un printemps plus rude encore que le nôtre, il a un prestige qui réchauffe l’âme. Ils traversent des villes, des hameaux, on leur jette des fleurs, on les salue de cris passionnés, et ils ne sentent plus ni la fatigue de la veille, ni l’appréhension de celle du lendemain. C’est que, comme l’Italien, le Français vit par le cœur, et que ces rudes natures militaires sont les plus impressionnables qui existent. Le mépris de la douleur physique et de la mort, cette vertu des sauvages et des peuples fatalistes, n’est pas, comme on le croit, ce qui caractérisé le soldat français. Il aime la vie ; il la sent avec une intensité extraordinaire, et pourtant nul ne sait souffrir et mourir comme lui. C’est que les enfants de notre peuple ont l’enthousiasme qui donne du prix au sacrifice ; c’est qu’ailleurs, c’est une forte machine qui se brise, et que, chez nous, c’est une chaude existence qui se donne.

Comme je pensais et parlais ainsi avec moi-même, je vis le brin d’herbe auquel, une heure auparavant, j’avais identifié mon humble destinée, se tordre sous un coup de vent et prendre, avec grâce et souplesse, toutes les attitudes de la fatigue et de la souffrance ; mais, certain qu’il ne souffrait réellement pas, je le méprisai d’être insensible dans sa vaine beauté, et je remerciai Dieu de m’avoir fait vivre jusqu’à ce jour