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d’être heureux et d’accepter les deux loisirs de la vie. Tout à coup retentit une voix claire qui me criait :

— Écoute, écoute vite, je passe ! Je passe et je ris de ton monde de poète endormi. Le vrai monde que je conduis, c’est la pensée. Le tien n’est qu’un rêve. Ton Éden est vide, et la vie des choses sans celles des êtres pensants, n’est qu’un néant paré pour quelques fêtes de spectres. Écoute et crois, je suis la voix de l’humanité qui s’éveille, je suis la fête et le chant, le cri et le cantique de la vie.

Alors, sans comprendre quelle était cette voix qui remplissait de sons éclatants la terre et les airs, je me sentis ému et je lui demandai :

— Toi qui passes si vite, dis-moi qui tu es, où tu vas, et de quel droit tu me dis d’ouvrir mon âme à tes paroles.

— Je suis la guerre, répondit-elle, et je vais franchir les Alpes. Tu me connais. Je t’ai bercé sur les champs de bataille, au bruit de mes tonnerres et de mes fanfares. Enfant de ce siècle, tu es né au son du canon, et les premiers, morts que tu as vus, avaient des balles ennemies dans le cœur ou dans la tête. Dans ce temps-là, on m’appelait la gloire et tu bégayas ce mot sans l’entendre. Aujourd’hui que tes cheveux blanchissent et que ton pas se ralentit, tu veux quelque chose de plus qu’un mot sonore pour me comprendre et me saluer : comprends et salue, je suis la fraternité sublime ! Les peuples sont frères, les hommes doivent vivre en paix, la gloire sans l’équité n’est qu’une chimère : je le sais mieux que toi, moi