Page:Sand - Questions politiques et sociales.djvu/319

Cette page n’a pas encore été corrigée

jambes me portent et mon fusil tient tout seul sur mon épaule. Le vent qui passe étourdit mes oreilles, mais quelque chose parle dans ma tête et je suis une ombre, une âme qui va où vous allez.

Quand vint le jour, je vis non pas l’Italie, mais les horizons bleus de ma tranquille vallée. La fièvre était dissipée, le rêve évanoui, presque oublié, j’allai respirer les parfums de l’aubépine et marcher dans les muguets humides. Je n’étais plus soldat, j’étais un rêveur, un poète.

— Qu’ai-je à faire, disais-je, de m’imaginer que ma pensée doit suivre cette armée ? que m’importe, à moi qui ne peux rien pour elle et à qui les actes de la force sont à jamais interdits ? Enfants et femmes, poètes et vieillards, goûtons le repos que le destin nous donne, oublions les grandes énergies de ce monde ; saluons le mois de mai, le rossignol et les primevères. Ce monde, il est fait pour nous, les faibles, des dons éternellement beaux de l’éternellement jeune nature. Et que nous font à nous, artistes, les rois et les nations, les traités et les guerres, le bruit des armes et le canon des forteresses ? Tout cela n’empêchera pas ce brin d’herbe de se baigner en paix dans ce filet d’eau ; et je rêvai tout éveillé que j’étais le brin d’herbe, et que les armées passaient si loin, si loin de mon rivage, que je pouvais me dessécher là, aussi sourd, aussi tranquille, aussi indifférent que je l’étais le jour qui m’y vit naître.

Pourtant, quelque chose battait dans mon cœur malgré moi, et c’est en vain que je me conseillais