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avec tant de matériaux pour écrire l’histoire, l’humanité a encore eu si peu d’historiens.

Oh ! qui pourrait seulement comprendre le mystère de sa propre vie serait déjà bien fort sur l’histoire du monde. En vain la mémoire nous représente jour par jour nos émotions les plus intimes, nos actions les plus secrètes. Qu’est-ce que cela nous apprend, si nous ne nous rendons pas compte de la cause et des fins de notre existence ? Il y a des personnes possédées de l’étrange et puérile manie d’écrire jour par jour, presque heure par heure les petits événements qui les occupent personnellement. J’ai connu un vieillard qui avait ainsi enregistré ses moindres actes pendant cinquante ans. C’était un vain amas de papiers où lui-même ne distinguait plus rien, et il est mort, ayant su moins que personne pourquoi et comment il avait vécu ; une seule pensée sérieuse eût plus appris de lui aux autres et à lui-même que les cent volumes de mémoires que ses héritiers livrèrent aux flammes, comme on détruit les pièces inutiles d’une machine mal construite et qui n’a jamais pu fonctionner. Combien de résumés historiques n’ont pas d’autre valeur !

Oh oui ! pour écrire dignement l’histoire, il faut une grande lumière, et, dût cette assertion faire l’effet d’un paradoxe, je dirai qu’il faut là plus d’inspiration encore, que de savoir, plus de synthèse que d’analyse, plus de religion philosophique éclairant l’âme émue et attentive à quelque chose qui ne vient que d’en haut, qu’il ne faut d’érudition et d’examen