Page:Sand - Questions politiques et sociales.djvu/148

Cette page n’a pas encore été corrigée

cuse ni n’absous personne ? je ne m’intéresse pas au malheur, je ne m’indigne pas à la vue du crime. Je suis indifférent au bien comme au mal. Thémis est aveugle, sourde et immobile après comme avant la certitude. Dans mon impartialité, je mets les parties hors de cause : comme Pilate, je me lave les mains et m’en remets au caprice du peuple. »

Vous sentiriez vos entrailles se révolter contre l’imbécillité ou l’hypocrisie d’un tel jugement ; vous diriez que ce n’est pas un jugement, que c’est un acte d’idiotisme infâme, et vous seriez tenté de faire justice de vos propres mains pour soustraire l’esclave au despote, la victime au meurtrier, la proie au tourmenteur.

Eh bien, dans l’histoire du genre humain, il y a toujours eu des oppresseurs et des opprimés, des assassins et des victimes, des filous et des dupes, des innocents et des coupables.

L’histoire du monde n’est qu’une éternelle redite de ce grand leurre, et de cet immense désastre où l’iniquité triomphe la plupart du temps, où la rémunération providentielle n’apparaît que comme une puissance mystérieuse, toujours voilée au vulgaire, et cependant toujours visible pour le génie de l’historien, toujours devinée tôt ou tard par le noble bon sens du peuple.

Et l’historien, c’est le juge investi de la dure et sublime fonction d’absoudre ou de condamner. Il est l’applicateur de la loi de Dieu, de la suprême justice ; son travail consiste à examiner laborieusement les pièces de ce vaste procès.