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sont des anomalies, des exceptions qui paraissent tenir du prodige. Au xviiie siècle, au contraire, les grands seigneurs, les nobles, cette classe qui avait donné autrefois la fameuse pléiade, se tarit : c’est le temps où M. de Saint-Aulaire entre à l’Académie et devient immortel pour un quatrain. Béranger, de notre temps, est le premier exemple d’un grand poète sorti des classes populaires. Les autres illustrations poétiques contemporaines appartiennent encore à la bourgeoisie. Il paraîtrait, suivant madame Tastu, dont nous avons voulu appuyer les prévisions par cette remarque historique, que, le temps aidant, l’inspiration pourrait bien passer dans les classes pauvres, dans les classes inférieures, comme on dit encore par un mauvais langage. Écoutons madame Tastu :

« La poésie se meurt, dit-on, comme si rien mourait en ce monde ! — la poésie surtout ; la poésie, qui répond à l’un des plus irrésistibles besoins de l’humanité ; car, ainsi que l’a dit la Parole divine : L’homme ne vit pas seulement de pain. Fidèle à sa double nature, à peine a-t-il eu le temps de pourvoir aux nécessités de son corps, que celles de son âme commencent à se manifester.

» Nos intrépides navigateurs, en explorant la Polynésie, ont trouvé dans quelques-unes de ses îles des peuplades barbares qui habitent, comme les animaux sauvages, des tanières enfumées, qui n’ont pour vêtement qu’une peau de bête, pour aliment que les produits de la pêche ou de la chasse, produits si précaires, à cause de l’imperfection des outils et des instruments qu’ils emploient, que souvent ils demeurent plusieurs jours sans nourriture. Eh bien ! ces êtres si peu développés encore ont déjà senti le besoin de joindre des