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sante sur mes lèvres de marbre et des larmes vitrifiées dans mes yeux arides ; alors, si cette femme paraît sur la scène avec sa taille brisée, sa marche nonchalante, son regard triste et pénétrant, alors savez-vous ce que j’imagine ? — que Dieu me pardonne cette innocente et vaniteuse fiction ! — il me semble que je vois mon âme ; que cette forme pâle, et triste, et belle, c’est mon âme qui l’a revêtue pour se montrer à moi, pour se révéler à moi et aux hommes.

» Alors cette femme parle ; elle pleure, elle maudit, elle invoque, elle commande, elle se désole ! Oh ! comme elle crie ! comme elle souffre ! quel féroce plaisir j’éprouve à la voir pleurer ainsi ! — C’est qu’elle répand toutes ces impressions, aussi pures, aussi violentes qu’elle les reçoit ; cette âme conçoit et elle produit en même temps ; cette femme est elle-même ce qu’elle paraît être ; en elle, la passion et la souffrance ne sont pas des reflets, comme les mots que je dis, comme les phrases que je trace ; c’est l’inspiration âpre et saisissante qui émane d’elle, toute vierge, comme elle y est descendue ; c’est le souffle de Dieu qui vient du ciel tout en feu et qui traverse cette âme pour s’y refroidir.

» Et ce n’est pas à cause des mots qu’elle prononce ; car ils sont au-dessous d’elle, tous ces poètes qui lui dictent sa passion. S’ils la laissaient libre d’improviser son rôle, elle dirait mieux qu’eux ce qu il faut dire. Mais n’importe ! elle a heureusement une voix plus puissante que leur génie. Son geste, son regard suppléent à leur pensée. Voyez ces cheveux fins et soyeux qui semblent s’animer sur son vaste front ! voyez sa peau qui bleuit et tout son corps que la douleur brise !… Eh bien, voyez-vous, s’écria-t-il dans une