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si chastes qu’on leur pardonne leur nudité naïve. La muchacha havanaise nageant dans le ruisseau avec ses compagnes comme la jeune sauvage de Chateaubriand dans le Meschacébé, et rentrant au logis sous sa tunique légère comme la Chloé de Longus, nous a paru digne de figurer parmi ces chérubins dont la beauté n’a pas encore de sexe, et qui apparaissent aux enfants dans leurs prières. Quand la chasteté des souvenirs d’enfance peut passer ainsi au travers des années de la vie, sans rien perdre de sa limpidité, et se révéler sous la plume d’une femme sans subir d’altération, on aime à supposer que le cristal traversé par de tels rayons est resté aussi pur que possible.

Le livre de madame Merlin serait un petit poème sans défaut, si elle se fut abstenue des réflexions métaphysiques faites après coup, et attribuées aux rêveries de ses premières années. Nous nous plaisons à la voir sur la terrasse de sa villa havanaise, écoutant les bruits de la mer qui vient mourir languissamment sur le sable, contemplant les parcelles de lumière que chaque flot renvoie au soleil couchant ; mais nous aimerions mieux nous imaginer à loisir les molles rêveries qui berçaient vaguement son âme innocente, que d’en recevoir la confidence arrangée.

Il y a, dans cette forme arrêtée d’une pensée vaporeuse, un refroidissement sensible des plus chaudes impressions. Mais les taches mêmes de ce charmant ouvrage attestent chez les femmes un désir encore impuissant, mais pourtant louable, de s’élever au-dessus de leur condition actuelle. Il appartient à la génération présente de relâcher ou de resserrer leurs liens.

Avril 1836.