Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/47

Cette page n’a pas encore été corrigée

par un sentiment de rêverie plus profond. Ces causes, et d’autres, transformèrent rapidement l’esprit de notre nation, et pour caractère principal lui infligèrent le doute. Or, le doute, c’est Obermann, et Obermann, né trop tôt de trente années, est réellement la traduction de l’esprit général depuis 1830.

Pourtant, dès le temps de sa publication. Obermann excita des sympathies d’autant plus fidèles et dévouées qu’elles étaient plus rares. Et, en ceci, la loi qui condamne à de tièdes amitiés les existences trop répandues fut accomplie ; la justice, qui dédommage du peu d’éclat par la solidité des affections, fut rendue. Obermann n’encourut pas les trompeuses jouissances d’un grand succès, il fut préservé de l’affligeante insouciance des admirations consacrées et vulgaires. Ses adeptes s’attachèrent à lui avec force et lui gardèrent leur enthousiasme, comme un trésor apporté par eux seuls, à l’offrande duquel ils dédaignaient d’associer la foule. Ces âmes malades, parentes de la sienne, portèrent une irritabilité chaleureuse dans l’admiration de ses grandeurs et dans la négation de ses défauts. Nous avons été de ceux-là, alors que, plus jeune et dévoré d’une plus énergique souffrance, nous étions fiers de comprendre Obermann et près de haïr tous ceux dont le cœur lui était fermé.

Mais le mal d’Obermann, ressenti jadis par un petit nombre d’organisations précoces, s’est répandu peu à peu depuis, et, au temps où nous sommes, beaucoup peut-être en sont atteints ; car notre époque se signale par une grande multiplicité de maladies morales, jusqu’alors inobservées, désormais contagieuses et mortelles.

Durant les quinze premières années du xixe siècle, non-seulement le sentiment de la rêverie fut gêné et