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la goule voie les cadavres se ranimer sous sa dent venimeuse, que les mangeurs de salamandres crèvent d’intempérance, que le peuple abruti par la peur des feux souterrains soit dévoré par son dieu, que les tours de Babel s’écroulent sans avoir touché aux astres ; il faut que la mer passe son niveau sans pitié sur toutes les énormités d’une société aux prises avec les énormités de la création primitive. C’est aux peuples réputés barbares qu’ils appartient, là comme partout dans l’histoire des civilisations corrompues, de régénérer la race condamnée et d’infuser dans ses veines un sang jeune et vivace.

Hemla est l’emblème de cet hyménée rédempteur. Par une fiction ingénieuse, l’auteur lui ôte la mémoire de ses croyances manichéennes. Elle échappe ainsi à la vengeance de ses dieux cruels et stupides. Elle oubliera jusqu’à leur nom, et c’est en vain que quelques survivants de sa race jureront encore devant elle par Niroutfa, l’ancien dieu.

Elle a perdu ses titres et son prestige ; elle n’est plus la ziris, la fille sacrée, la vierge du feu, la grande euménide. Plus de richesse, plus de puissance tyrannique. Elle vit sous la hutte de feuillage. Dégagée de ses vœux impies, elle est aimée, elle est mère, elle s’est élevée à la dignité de femme. Elle est utile, elle enseigne, elle travaille, elle existe. La nature humaine est réhabilitée, purgée de ses aberrations, délivrée de ses épouvantes. La notion d’une providence intelligente, ou tout au moins d’une volonté humaine capable de braver et de dominer les forces aveugles de la matière, est entrée dans son esprit. Les éléments ne sont plus déifiés. L’homme n’est plus ni dieu ni esclave. La femme, sœur et compa-