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que nous osions espérer de pathétique et d’entraînant. On se rappellera toujours ce cri d’enthousiasme et de déchirement qui s’échappa de toutes les poitrines à la première représentation d’Antony, lorsque madame Dorval, résumant dans un mot fort et vrai toute la destinée d’Adèle, se retourna brusquement et froissa sans pitié sa robe de bal sur le bras de son fauteuil en s’écriant :

Mais je suis perdue, moi !

Un mot plus simple n’atteignit jamais à une telle puissance et ne produisit une sensation plus imprévue.

Entre ces deux grands talents, personne n’osa se décider. Que mademoiselle Mars se rassure ; elle est arrivée à une telle légitimité de puissance, que, si l’on voyait chanceler son diadème, nul ne serait assez impie pour y porter la main. On se retira en disant que chacune de ces deux illustrations régnait par des moyens différents : l’une par des qualités exquises, par des grâces attractives et des séductions dont la nature fut peut-être plus prodigue envers elle qu’envers aucune organisation physique de son temps ; l’autre, par une plus vaste répartition d’instinct dramatique et de sensibilité expansive, par une vigueur plus saisissante et une plus impérieuse révélation de sa spécialité.

Février 1833.