Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/302

Cette page n’a pas encore été corrigée

une sphère moins désolée, et qu’il ne fasse point agir et parler la passion vraie, la bonté intelligente, les sentiments généreux ? Nous espérons bien qu’il le fera. Mais il est certain que son brillant début le place, je ne dirai pas à la tête d’une école nouvelle, mais sur le pied d’une individualité très-entière et très-prononcée, dont l’action semble vouloir se porter sur la recherche du fatalisme. Il l’analyse dans ses causes, dans sa marche et dans ses résultats avec une rare puissance. Il semble qu’il raconte une histoire arrivée sous ses yeux, et que son unique but soit de vous faire dire : il ne pouvait en être autrement.

On s’est alarmé à tort, suivant nous, de la moralité de l’œuvre. Tout au contraire, le livre nous a paru utile, et tous, en famille, nous avons jugé que la lecture en était bonne pour les innombrables madame Bovary en herbe que des circonstances analogues font germer en province, à savoir les appétits de luxe, de fausse poésie et de fausse passion qui développent les éducations mal assorties à l’existence future, inévitable.

La leçon sera-t-elle aussi utile aux maris imbéciles, aux amants frivoles, aux bourgeois prétentieux, à toutes les caricatures provinciales si hardiment dessinées par M. Flaubert ? Hélas non ! Madame Bovary est seule intelligente au milieu de cette réunion de crétins. Elle seule eût pu se reconnaître. Les autres s’en garderont bien. On ne corrige pas ce qui ne pense pas. Il est d’ailleurs évident que le livre n’a pas été fait en vue d’une moralité quelconque ; ce qui, entendons-le bien, ne prouve pas qu’il soit immoral ; car, ce qui est beau ne nuit jamais, et avec cette peinture du mal, M. Flaubert a su faire un très-beau