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Cluis. De Cluis au Châtelier, on parla d’un livre qui a fait grande sensation dernièrement, madame Bovary, roman de M. Gustave Flaubert.

Dès l’apparition de ce livre remarquable, dans notre petit coin, comme partout, je crois, on s’écria : — Voici un spécimen très-frappant et très-fort de l’école réaliste. Le réaliste existe donc, car ceci est très-neuf.

Mais, en y réfléchissant, nous trouvâmes que c’était encore du Balzac (tant mieux assurément pour l’auteur), du Balzac expurgé de toute concession à la bienveillance romanesque, du Balzac Apre et centriste, du Balzac concentré, si l’on peut parler ainsi. Il y a là des pages que certainement Balzac eût signées avec joie. Mais il ne se fût peut-être pas défendu du besoin de placer une figure aimable ou une situation douce dans cette énergique et désolante peinture de la réalité. M. Gustave Flaubert s’est défendu cruellement jusqu’au bout.

Il a voulu que la femme dédaigneuse du réel fût folle et méprisable ; que le mari voué au réel fût d’une déplorable stupidité, et que la réalité ambiante, maison, ville, campagne, voisins, amis, tout fut écœurant de bêtise, de laideur et de tristesse, autour de ces deux personnages infortunés.

La chose est exécutée de main de maître, et pareil coup d’essai est digne d’admiration. Il y a dans ce livre un douloureux parti pris qui ne se dément pas un instant, preuve d’une grande force d’esprit ou de caractère, preuve, à coup sûr, d’une grande netteté de talent. Est-ce un parti pris à jamais et à tous égards ? Nous n’en savons rien, car est-il croyable que l’auteur ne soit pas emporté par lui-même dans