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— Mais les hommes ont empiré, et nous comme les autres. Les bons sont devenus faibles, les faibles poltrons, les poltrons lâches, les généreux téméraires, les sceptiques pervers, les égoïstes féroces.

— Et nous, dit-il, qu’étions-nous, et que sommes-nous devenus ?

— Nous étions tristes, nous sommes devenus malheureux, lui répondis-je.

Il me blâma de mon découragement et voulut me prouver que les révolutions ne sont point des lits de roses. Je le savais bien et ne m’en souciais guère, quant à moi ; mais il voulut aussi me prouver que l’école du malheur était bonne et développait des forces que le calme finit par engourdir. Je n’étais point de son avis dans ce moment-là ; je ne pouvais pas si aisément prendre mon parti sur les mauvais instincts, les mauvaises passions, et les mauvaises actions que les révolutions font remonter à la surface.

— Un peu de gêne et de surcroît de travail peut être fort salutaire aux gens de notre condition, lui disais-je ; mais un surcroît de misère, c’est la mort du pauvre. Et puis, mettons de côté la souffrance matérielle : il y a dans l’humanité, à l’heure qu’il est, une souffrance morale qui ne peut rien amener de bon. Le méchant souffre, et la souffrance du méchant, c’est la rage ; le juste souffre, et la souffrance du juste, c’est le martyre auquel peu d’hommes survivent.

— Tu perds donc la foi ? me demanda mon ami scandalisé.

— C’est le moment de ma vie, au contraire, lui dis-je, où j’ai eu le plus de foi à l’avenir des idées, à la bonté de Dieu, aux destinées de la révolution. Mais