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pleurai comme cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps. C’était des pleurs amers et pourtant je me sentais plus de courage et d’espérance qu’auparavant, car je me disais : quand des hommes si sensibles et si dévoués naissent dans les rangs de la misère, de meilleurs jours s’approchent. Le peuple jusqu’à présent n’a pas senti son malheur, ou il ne l’a pas senti à propos et comme il convient. Il l’a senti dans l’abattement ou dans la colère, pour se laisser écraser, ou pour secouer son joug, en brisant son front avec. À présent le peuple va prendre une voix pour se plaindre avec chaleur, pour réclamer avec modestie, pour se venger en pardonnant. Oui, c’est la voix du peuple que je viens enfin d’entendre, c’est sa voix juste et vraie, ce n’est plus le cri de son agonie impuissante, ni celui de sa fureur déchaînée et meurtrière. Ce n’est pas l’accent enflammé du tribun. Le monde a entendu ces accents, ils ont brisé, ils n’ont pas édifié. Ce n’est pas non plus le chant prophétique de l’inspiration qui élève des autels à un Dieu encore irrévélé au vulgaire. Les poëtes et les philosophes ont chanté ces hymnes et ils se sont perdus en montant vers les cieux. La terre a été sourde et rien n’a été renouvelé parmi les hommes. Mais cette voix, c’est celle de la conviction persuasive, de la raison attendrie, de la dignité humaine, volontairement et chrétiennement humble, mais d’autant plus ferme qu’elle est plus douce. Et ainsi je repris courage, comptant sur la Providence pour faire passer peu à peu dans tous les cœurs ce beau et pur sentiment que, sans le savoir, un ouvrier venait de manifester dans quelques simples discours sortis de son âme.

Et pourtant Gilland n’est point un orateur et ne se