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préserver du retour d’un pareil malheur ; que nous vivons, Dieu merci, sous un prince… (Voir aux éloges de rigueur décernés par tous les discours de réception) ; qu’enfin l’Académie est Dieu, et que tout écrivain passe à l’état de Dieu en s’y incorporant ; quand, en un mot, je me serai bien convaincu que, pour avoir été imprimé, je suis un penseur, une puissance, un génie, que m’arrivera-t-il et quel plaisir trouverai-je à cela ? Je n’ai jamais pu me le figurer, je l’avoue. Il s’élevait en moi des contradictions comme celles qu’on nous présente quand on nous demande, ce que nous autres rêveurs, nous ferons, dans l’humanité future, des vices du temps présent. À quoi nous sommes toujours embarrassés de répondre, puisqu’il nous faut supposer la disparition de ces vices, et que ceux qui les ont y tiennent trop pour souffrir qu’on parle de les extirper. Je ne pouvais donc venir à bout de me dépouiller du sentiment de ma simplicité, j’y tenais, je le confesse, et je ne me représentais en aucune façon l’état de l’âme d’un génie. Mais quoi, me dis-je, quand j’aurai le génie, j’aurai par cela même, la bonté, la commisération, le dévouement à l’humanité, l’abnégation de toute personnalité ; je ferai très-peu de cas de mon génie, Les autres le verront, mais je ne l’apercevrai pas moi-même, tant je serai occupé affectueusement et douloureusement de tous les pauvres d’esprit qui sont dans l’univers. Toujours penché, les mains étendues, vers l’ignorance, la faiblesse, et le mal engendré chez mes semblables par l’erreur, je n’aurai d’autre souci que de les consoler, de les éclairer, de les redresser. Il faudra d’abord que je les relève à leurs propres yeux, tous ces mortels délaissés et avilis ; il faudra que je