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Lisez enfin cette chanson, presque digne de Déranger, dont les encouragements n’ont pas manqué au poëte tisserand, son cher confrère, ainsi qu’il l’appelle[1] :

J’ai lu que Dieu créa la terre.
Pour les hommes qu’il fit égaux ;
C’était bien agir en bon père,
Si pour tous il eût fait des lots.
J’arrive, mais on me repousse,
Ma part est prise, enfin je vois
Que je n’en aurai pas un pouce ;
Le bon Dieu s’est moqué de moi.

Quand les beaux-arts et l’industrie
Semblent prendre un nouvel essor.
Tout concourt à rendre la vie
Plus douce ; mais il faut de l’or.
Pour moi qui n’ai que ma navette.
Je n’en touche du bout du doigt ;
Je m’en passe, mais je répète :
Le bon Dieu s’est moqué de moi.

Sans ambition, sans envie,
Pauvre, je me trouvais heureux ;
Mais Dieu m’envoie une ophtalmie.
Qui m’a presque détruit les yeux ;
A sa suite, dame Misère
Entre chez nous, quel désarroi !…
C’en est trop, je ne puis me taire ;
Le bon Dieu s’est moqué de moi.

  1. « J’ai trouvé en vous le poëte artisan, toi qu’il me semble devoir être : occupé de rendre ses sentiments intimes avec la couleur des objets dont il est entouré, sans ambition de langage et d’idées, ne puisant qu’à sa propre source, et n’empruntant qu’à son cœur, et non aux livres, des peintures pleines d’une sensibilité vraie et d’une philosophie pratique. » (Extrait d’une lettre de Béranger à Magu.)