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la beauté était estimée presque à l’égal d’une vertu. L’antiquité nous a transmis les noms d’artistes qui n’ont eu d’autre mérite que celui d’être beaux. Aujourd’hui, nul ne garde le souvenir d’un artiste sans talent, fût-il de sa personne Antinoüs ou Méléagre. On exige tout de nos jours, tout, rien que cela ; mais ce que l’on exige peut-être le moins, c’est la beauté plastique. Elle n’a que le prestige du premier moment. Elle ennuie, elle agace, elle irrite, si l’art ne sait pas lui donner le charme, qui est tout autre chose, et qui s’applique quelquefois à la laideur pour la rendre aimable et sympathique. Les idées modernes sont au réalisme, et, dans une certaine mesure, c’est un progrès, car l’homme n’est pas fait pour ne servir que de modèle à la statuaire, et ce n’est pas un avantage moral pour lui de se différencier des autres hommes par une perfection physique : s’il en est vain, on le ridiculise ; s’il n’en tire pas parti, on le croit inintelligent. Il faut donc savoir être beau, ce qui est beaucoup plus difficile que de savoir être laid, et, dans notre art, qui consiste à tout produire personnellement et directement, le premier point est de bien savoir ce que l’on est, afin de savoir ce qu’il faut être.