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comme cela que le poëte est riche. Mais, moi, je suis devenu pauvre, et je n’ai plus à moi qu’une chose inféconde, le chagrin, champ aride, domaine du silence. J’ai perdu en un an trois êtres qui remplissaient ma vie d’espérance et de force. L’espérance, c’était un petit enfant qui me représentait l’avenir ; la force, c’étaient deux amitiés, sœurs l’une de l’autre, qui, en se dévouant à moi, ravivaient en moi la croyance au dévouement utile.

Il me reste beaucoup pourtant : des enfants adorés, des amis parfaits. Mais, quand la mort vient de frapper autour de nous ce qui devait si naturellement et si légitimement nous survivre, on se sent pris d’effroi et comme dénué de tout bonheur, parce qu’on tremble pour ce qui est resté debout, parce que le néant de la vie vous apparaît terrible, parce qu’on en vient à se dire : « Pourquoi aimer, s’il faut se quitter tout à l’heure ? Qu’est-ce que le dévouement, la tendresse, les soins, s’ils ne peuvent retenir près de nous ceux que nous chérissons ? Pourquoi lutter contre cette implacable loi qui brise toute association et ruine toute félicité ? À quoi bon vivre, puisque les vrais biens de la vie, les joies