Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/94

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Non pas, que je sache ; tant s’en faut ! Mais je suis fatigué, j’ai le spleen, j’ai une courbature. Je reste.

Henry tombait des nues. Il épuisa toute son éloquence pour entraîner Lionel ; mais, ne pouvant y réussir, il descendit de cheval, et, jetant la bride au palefrenier :

— Eh bien, s’il en est ainsi, je reste aussi, s’écria-t-il. La chose me paraît si plaisante, que j’en veux être témoin jusqu’au bout. Au diable les amours de Bagnères et les projets de grande route ! Mon digne ami sir Lionel Bridgemont me donne la comédie ; je serai le spectateur assidu et palpitant de son drame.

Lionel eût donné tout au monde pour se débarrasser de ce surveillant étourdi et goguenard ; mais cela fut impossible.

— Puisque vous êtes déterminé à me suivre, lui dit-il, je vous préviens que je vais au bal.

— Au bal ? Soit, la danse est un excellent remède pour le spleen et les courbatures.

Lavinia dansait avec M. de Morangy. Lionel ne l’avait jamais vue danser. Lorsqu’elle était venue en Angleterre, elle ne connaissait que le boléro, et elle ne s’était jamais permis de le danser sous le ciel austère de la Grande-Bretagne. Depuis, elle avait appris nos contredanses, et elle y portait la grâce voluptueuse des Espagnoles jointe à je ne sais quel reflet de pruderie anglaise qui en modérait l’essor. On montait sur les banquettes pour la voir danser. Le comte de Morangy était triomphant. Lionel était perdu dans la foule.

Il y a tant de vanité dans le cœur de l’homme ! Lionel souffrait amèrement de voir celle qui fut longtemps dominée et emprisonnée dans son amour, celle qui jadis n’était qu’à lui, et que le monde n’eût osé venir réclamer dans ses bras, libre et fière maintenant,